LE VILLAGE, SES CARACTERISTIQUES

Le Puits-des-Mèzes est situé à 11 Km à l’Est/Nord-est de Chaumont.

Un simple coup d’oeil à une carte ou à une photographie aérienne suffit pour l’identifier comme un petit village clairière isolé au centre d’un massif forestier compact.
C’est d’ailleurs cette définition de commune clairière qu’ont retenue P. Méjean et M. Henriot dans La Hte Marne (1959).

La clairière du Puits-des-Mèzes et son auréole forestière s’inscrivent dans ce secteur septentrional du plateau de Langres dont le sous-sol est constitué de calcaires du jurassique moyen ( bathonien inférieur)..
La décomposition de cette roche dure produit une mince couche de sols bruns calciques favorables à la végétation forestière.
Le sous-sol, très perméable, est donc très peu favorable à la rétention des eaux en surface. Nous aurons donc à faire à un terroir assez sec.

Depuis les publications de l’abbé Petermann et de Georges Loberot qui ont, dans le premier quart du XX ième siècle, exploité les Archives de l’abbaye de la Crête (série H des Archives Départementales de la Hte Marne), on s’accorde à faire remonter la fondation du Puits des Mèzes aux premières années du XVIème siècle. Suivons ces deux auteurs.
Au départ une "simple métairie dépendant de l’abbaye de la Crête" située sur la partie "basse au sol assez profond et fertile".
En 1528 les moines délimitent, dans “la partie haute, rocailleuse et maigre” un territoire que sont autorisés à défricher et cultiver, moyennant redevances, des colons agricoles qui sont les véritables fondateurs du village. La métairie est devenue le "gaignage" du Puits des Mèzes.
En 1596 le gaignage est érigé en village et communauté lorsque Charles des Cars, évêque de Langres et abbé de la Crête, accorde aux habitants du Puits des Mèzes, représentés par "Roy et Thiebaut , laboureurs" des garanties d’établissement perpétuel.

Comment interpréter ce terme de "Gagnage" qui revient à plusieurs reprises dans le contrat de 1598 ? Gagnage ou gaignage, les deux formes coexistent. On pourrait être tenté d’en faire le synonyme d’essart, de terre gagnée sur la forêt. Il faut noter que ces deux termes n’apparaissent pas dans la microtoponymie du Puits des Mèzes. Cette absence est bien compréhensible, le village, on son entier, ayant pour origine un gaignage, un essart, il était impossible de les utiliser pour on désigner une parcelle particulière. A ma connaissance on ne trouve pas le mot gaignage sur le cadastre des communes voisines alors qu’il est fréquent, sous des formes diverses, (gaignons, guignas, gangnons, etc... ) dans des régions voisines ainsi que le note Ph. Barral pour le Mont Beuvray.
Essart par contre apparaît à Biesles (La Combe des Essarts, l’Essard du Banc, à Bourdons l’Essart Parisel, Essart Boileau).
Le Dictionnaire de Furetière retient la forme plurielle “gagnages” dans le sens de "terres labourées où vont paître les bestiaux". En termes juridiques ce mot désigne aussi les fruits des terres emblavées ainsi que le note P. Fénelon "en termes de droit féodal revenus des terres, terres dont on percevait les récoltes, synonyme de droit de jouissance et de fruit de la terre".
Du Cange voit l’origine de ce terme dans Gagnagium ou Wagnagium. Ce serait le vieux français Gain ou gaaing, équivalent du latin "terrae lacrabiles" terres labourables, qui peuvent produire du fruit.
Ph. Barral reprend cette étymologie : tous les dérivés de "gagner", en Ancien Français, ont trait au travail de la terre :
gaain labourage = terre labourable.
gagnage = terre de labour - exploitation paysanne.
gaaigneor = laboureur.
Avec la majeure partie des spécialistes contemporains il considère que "gagner" tire son origine du germanique (francique) WAIDANJAN, verbe et qui, "à l’origine, signifiait labourer, cultiver, faire du profit étant un sens secondaire. Au départ il s’agit de chercher de la nourriture".
Ce terme francique peut revêtir plusieurs sens à partir de l’idée de chercher sa nourriture : Faire du butin, gagner, tirer du fruit, labourer. Tout dépend peut-être du contexte dans lequel s’effectue la recherche de ce qui est nécessaire à la vie.
Paul Fabre, qui, pour la Hte Marne, cite Auguste Longnon, donne à gagnage le sens de pâturage, exploitation agricole.
F. Fénelon cite encore quelques acceptions de gagnage :
* récoltes de l’automne, d’où est venu regain.
* parcages situés près des bois où vont se nourrir cerfs, lièvres et lapins. (Ce serait là plutôt un terme de vénerie).
* en Lorraine, sol consacré aux céréales d’hiver, en particulier blé et froment.
En ce qui concerne le Puits-des-Mèzes, deux passages du contrat de 1598 sont parfaitement explicites :
* Il ne demeure que 18 habitants “tellement que le petit nombre qui reste ne saurait fournir au labourage des terres dépendantes dudit gaignage”.
* Les habitants menacent l’abbé, si leurs doléances n’aboutissent pas “de lui remettre et quitter ledit lieu et gaignage se retire en autre pays, ...où ils trouveront plus de commodité pour gaigner leur vie qu’à tenir ledit gaignage”. Ceci prouve que les tenanciers du Puits-des-Mèzes, sont des hommes libres et non des serfs, des “vilains” qui cultivent une “villa” une exploitation agricole (nous retrouverons ce nom) sans être attachés à la terre puisqu’ils ont le droit de la quitter, de “ déguerpir ” selon le terme consacré à l’époque.
Le sens du mot gaignage est ici clair, il pourrait se définir comme territoire destiné à l’exploitation agricole . Dans l’environnement forestier et dans le contexte de la fondation du village , la notion d.’essart est cependant sous-jacente, si bien que nous revenons pratiquement à notre définition initiale de terres exploitables gagnées sur la foret, donc d’essart, ce qui rend nécessaire, dès à présent, l’explication de ce mot :
Prenons comme base la définition que propose P. Fénelon : Parcelles déboisées, défrichées et mises en culture.
La technique de l’essartage préside aux origines de la civilisation agricole. Elle consiste à dégager un terrain par abattage des arbres et arrachage des plantes sauvages. Ce défrichement est en général suivi d’un écobuage, c’est-à-dire d’une destruction par le feu de tous les déchets. Le feu peut d’ailleurs constituer en lui-même la technique de défrichement. A noter que l’écobuage, par ses cendres fournit un engrais au sol. Les habitants du Puits-des-Mèzes connaissaient bien la fertilité des "places à feu" ces emplacements où , dans la forêt on a cuit les meules de charbon de bois jusque dans les années 1950.

Pour le mot “essart” l’étymologie classique invoque le substantif latin Esartum ou Exsartum dérivé du verbe latin classique sarire, qui signifie sarcler, à travers une forme du latin populaire exsarire.
L’intervention du feu, à une phase quelconque de l’essartage, a conduit P. Fénelon à noter que la composante art peut sembler proche de la racine du verbe latin ardere, brûler, qui survit dans notre adjectif ardent, participe présent du verbe ancien français ardre. N’est-ce pas compliquer, Sans profit évident, une étymologie, que d’y introduire l’association de 2 schémas ? Pour revenir au Puits-des-Mèzes, où nous étudierons en détail la survivance du vocabulaire de l’essart dans la microtoponymie retenons dès à présent que la concession monastique de 1528 ouvre à l’essartage “d’autres terres en friches et en broussailles”.

Une rapide observation de la topographie nous conduit à souligner la médiocrité du relief et le peu d’amplitude des dénivellations.
G. Loberot note le point le plus bas au Sud, dans la Combe Darmanes, à 328m et le point le plus haut au Nord à 385m. C’est peu, même si l’on tient compte de la cote 397 à l’extrême Nord des “Grands Bois”. Pourtant, dans ma jeunesse encore, cette région forestière était appelée “La Montagne” par opposition aux vallées de la Marne, de la Suize et du Rognon et surtout par contraste avec les grasses prairies du Bassigny. Tout est relatif. Il est vrai que “montagne” a parfois tendance à prendre le sens de pays pauvre par opposition à “plaine”, bon pays.
Pour l’agglomération même la dénivellation n’est que de 12m entre le haut et le bas du village. Dans le détail cependant, le relief semble assez diversifié. Si les vallonnements sont doux et de faible profondeur, les surfaces horizontales sont rares et de faible superficie.
Le terrain est parsemé de minuscules dépressions et les plats et les coteaux s’inclinent mollement vers les bas.
Ainsi s’explique l’importance que prend le relief dans la, microtoponymie en dépit de sa médiocrité : peu d’ampleur mais de la diversité.

Pour conclure : il nous faut replacer le Puits-des-Mèzes dans son environnement. Petite enclave agricole au milieu d’épaisses forêts, le Puits-des-Mèzes donne de prime abord, une impression d’isolement. L’abbé Roussel le qualifie de “cure isolée au milieu des bois”. Personnellement je n’ai pas l’impression que le Puits-des-Mèzes, même avant que l’automobile et les attraits des emplois urbains en aient fait un lointain satellite de Chaumont, se soit véritablement replié sur lui même. Dès les origines les liaisons avec la Crête sont obligatoires, les abornements de 1552 et de 1599 prouvent les contacts voire les conflits de voisinage avec Mareilles, voire avec Treix. Succursale ecclésiastique de Bourdons le Puits-des-Mèzes est en constante liaison avec son église mère, les registres paroissiaux montrent d’ailleurs des contacts matrimoniaux avec d’autres communautés voisines.
Il serait vain de multiplier les preuves, l’évidence s’impose. Colonie agricole cernée par la forêt le Puits-des-Mèzes est condamné à rompre son isolement. C’est essentiellement dans le tracé des chemins et dans leurs appellations que cette nécessité d’ouverture a laissé des traces toponymiques. Il faut remarquer que le bois de Mareilles, bien que de volume comparable, semble avoir constitué un moindre obstacle que la foret d’Ageville. La raison est d’ordre historique. Ainsi que l’a montré G. Loberot, Le Puits-des-Mèzes est, par ses origines, essentiellement tourné vers la Crête et Mareilles
On peut noter qu’à l’époque contemporaine il semble plus tourné vers Biesles que vers Bourdons.
N’oublions pas que, sans avoir provoqué une ruée, l’exploitation des bois a drainé vers un minuscule village une population de travailleurs étrangers. Je ne pense pas seulement aux italiens et aux espagnols qui sont venus y faire souche au XX ième siècle mais à ces bûcherons et scieurs de long venus de la Loire à la fin du XVIII ème siècle. Si Leur arrivée a renouvelé l’éventail des noms de familles, il ne semble ne pas avoir affecté la microtoponymie.

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